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Comment est né Perramus

A la fin de l’année 1982, Alberto Breccia prend contact avec Juan Sasturain et lui propose d’écrire UN scénario d’une bande dessinée. Sasturain, journaliste et écrivain de polar, n’a auparavant jamais écrit un scénario. Avoir été choisi par ce grand maître représente pour lui à la fois un honneur et un défi.
Breccia résume brièvement ses intentions: Il veut réaliser une histoire d’aventure, pensée et réalisée par le marché européen; en Argentine, la dictature militaire au pouvoir et la crise économique ont fait disparaître les revues de bande dessinée.

Le récit doit être divisé en six ou huit chapitres de huit pages, pour rendre plus facile la publication dans une revue et, par la suite, en album. Breccia veut une histoire grand public, mais avec des contenus dramatiques, de l’action et surtout des personnages très denses psychologiquement. Il veut une base qui lui permettrait de développer le côté plastique, et dessiner selon envie. En même temps, Breccia ne donne pas d’indications ou de préférence quant au sujet du scénario.

Quelque temps plus tard, Sasturain livre les huit premières pages. Il y traite de manière synthétique l’origine et la condition du personnage principal. Ce dernier se débarrasse de sa mémoire et de son identité pour échapper au fardeau d’une faute inexpiable. Il a fui et a trahi ses compagnons en les abandonnant. L’homme abandonne son vrai nom pour le remplacer par une marque, l’étiquette d’un imperméable anonyme.
Sasturain développe d’instinct cette idée sans savoir la suite qu’il donnera à l’histoire.

Cette idée enthousiasme Breccia; quelques jours plus tard il montre au scénariste les premiers dessins : dans une ville construite avec mille tons de gris, rôdent les “Maréchaux” à la tête de mort.

Quelques années plus tard, Breccia dira :

« La principale raison qui m’a poussé à commencer “Perramus” a été le besoin de témoigner de tout ce qui s’était passé en Argentine à l’époque de la dictature militaire. C’était mon devoir de le faire. Le dessin était, et est encore, ma seule arme. Avec cette arme, je proteste. “Perramus” fut un cri d’indignation, un cri de révolte. »

Sasturain se voit restituer son histoire, enveloppée dans un climat oppressif et mélancolique.
La tragique réalité que l’Argentine vivait depuis des longues années est transposée avec une fidélité expressionniste, sans jamais tomber dans un réalisme qui se serait vite usé.
La ville – Santa Maria, comme l’appelait le grand écrivain uruguayen Juan Carlos Onetti – est un Buenos Aires spectral; les “Maréchaux” sont bien les bourreaux du régime militaire argentin mais représentent aussi tous les dictateurs du monde.

A ce propos, Breccia dira :

« J’ai réalisé Perramus au lavis, avec plein de nuances de gris, parce que Buenos Aires, pendant la répression, s’éteignait; les contrastes, le noir et le blanc, disparaissaient. La ville devenait grise, perdait son âme. Tout était gris de peur et de silence. Dans cette période fleurissaient lâcheté et égoïsme : c’était la complicité du silence. Si le peuple s’était révolté cela ne serait pas arrivé. Il y aurait peut-être eu une véritable boucherie, mais dans une lutte à visage découvert; sans tortures, sans enlèvements, sans vols. »

Ces premières pages établissent le noyau de l’histoire, situent le cadre moral et enclenchent le mécanisme de l’aventure. A partir de là, le récit se développe dans une suite de péripéties fantastiques chargées d’allusions et de symboles.
Breccia évoque Henry Kissinger sous les semblants du redoutable et théâtrale Mr. Whitesnow. Presque tous les protagonistes qui se matérialisent dans cette première partie sont inspirés de personnages réels.

Sasturain termine son scénario par morceaux, sans plan général; il développe et modifie l’histoire suivant les idées que Breccia fait germer en dessinant la partie qu’il a écrit précédemment.
Au cours de cette première partie, qui sera intitulée ensuite “Le pilote de l’oubli”, Perramus – le protagoniste – suit un double itinéraire extérieur (il voyage à travers des endroits différents pour revenir enfin à la ville qu’il avait fui) au même temps qu’intérieur (comme un personnage de Conrad, il peut profiter d’une “deuxième occasion” où il sera à la hauteur de la situation). Et même s’il avait abandonné ses compagnons au début de l’histoire, à la fin il réussit à rester fidèle à ses convictions.

Dans le “Pilote de l’oubli” se forme le groupe de personnages qui seront au centre de toutes les aventures suivantes : Perramus, Canelones, l’Ennemi et Borges.
La présence du grand écrivain, dessiné avec précision et tendresse par Breccia, est un hommage à quelqu’un qui est toujours présent soit dans tous les thèmes développés dans “Perramus” (le jeu avec le temps, l’oubli, la traîtrise, la lâcheté et le courage) soit dans la réalité argentine de l’époque comme homme aux opinions politiques et aux positions souvent polémiques.

Mais le Borges de “Perramus” n’est pas le Borges réel, et ne veut pas l’être. Il n’est pas aveugle comme le “vrai” mais explique son soutien aux opposants à la dictature utilisant les mêmes arguments que le Borges “historique” utilisait pour soutenir le conservatisme : sa prédilection pour les causes perdues.
Dessinateur et écrivain continuent à développer leurs histoires suivant le même processus qui prend bientôt une allure rituelle. Sasturain livre son scénario par chapitre, sur des feuilles manuscrites, indiquant le contenu de chaque case, les dialogues et donne une indication sommaire de composition du dessin.

Breccia dessine ensuite ce chapitre en y ajoutant des éléments propres et parfois en modifiant le découpage. Ensuite, Sasturain modifie son texte pour l’adapter aux changements introduits par le dessinateur.
Enthousiasmés par le résultat de cette collaboration, Breccia et Sasturain décident de poursuivre l’histoire avec un nouvel épisode, qu’ils intitulent “L’âme de la cité”. Le fil conducteur de cette deuxième partie est basé sur une idée de Borges selon qui, l’Univers (la Ville, dans ce cas) est peut être un rêve, un souvenir persistant, la conscience en éveil de quelques hommes. Ces êtres, sans le savoir, finissent par devenir l’Âme de l’Univers.

Dans “L’âme de la cité” les quatre protagonistes engagent une étrange bataille au cours de laquelle ils disputent aux “Maréchaux” l’âme de Santa Maria, incarnée dans des détenteurs anonymes de certaines valeurs qui sont l’ultime soutien de la ville. Perramus, personnage obscur au destin de renégat, est lui même un fragment de l’âme qui tente d’échapper à la furie des assassins.

Stimulés par les dynamiques qui se créent à l’intérieur de l’histoire et par les possibilités offertes à la narration par le noyau des personnages, les deux auteurs décident de poursuivre les aventures de “Perramus” avec un troisième volet qu’ils intitulent “L’île au guano”. Le ton est moins grave et il correspond aux changements intervenus en Argentine avec le retour à la démocratie en 1983. Toujours dans un style qui mêle expressionnisme et grotesque, enrichi d’allusions et de symbolisme, Breccia et Sasturain continuent a gloser la réalité que les entoure.

Toujours dans cet esprit ils réalisent plus tard un quatrième épisode, de ton plus léger et aventureux qu’ils intitulent “Dent pour dent”, où les thèmes de la lutte contre l’impérialisme et le colonialisme trouvent grande place. Terminé en 1989 et composé d’un total de 276 planches, le cycle de“Perramus” a été publié intégralement en France par les éditions Glénat.

Publié avec l’aimable autorisation de Latino Imparato.

En savoir plus

Perramus, de Alberto Breccia et Juan Sasturain

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  1. [...] de Zagreb. Mi referente ha sido, en cuanto a ilustración, Alberto Breccia, un historietista; aquí se pueden ver algunos de sus trabajos; especialmente su cómic Informe sobre ciegos, en el que son [...]

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