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Un auteur d’aujourd’hui : Alberto Breccia

Ce texte en français est un extrait d’un entretien en espagnol qui est lisible au complet ici.

Extraits d’une interview d’Alberto Breccia réalisée à Barcelone en 1973 par Antonio Martin pour le magazine Bang!

Antonio Martín : Alberto Breccia, nous avons lu Mort Cinder il y a des années, nous connaissons la Vie du Che et l’Éternaute, mais nous ignorons la continuité de leur oeuvre et nous aimerions commenter avec vous certaines de leurs circonstances.

Alberto Breccia : J’ai commencé comme dessinateur humoristique. J’ai commencé à dessiner parce que j’aimais ça, mais vint ensuite une époque de grande pénurie en Argentine qui a été appelée la «décennie infâme». J’ai dessiné parce que j’aimais ça, sans penser à gagner de l’argent et je ne l’ai pas gagné… J’ai commencé à dessiner avec sérieux et c’est pourquoi j’ ai copié de manière effrontée Hogarth, non parce que je l’aimais particulièrement, mais parce son style était juste pour une historieta
que je faisais ; il m’a coûté beaucoup d’ apprendre à dessiner, en copiant, essayant, souffrant… Je dirais que mon oeuvre commence un peu avec Vito Nervio, qui était plus cohérent que ce que j’avais fait jusqu’alors, tandis que ce qui précède avait été des tirs en l’air, pour manger. J’ai fait aussi plusieurs aventures pour le Club des Aventuriers et j’ai fait Armes à feu, un western très moderne qui a été vendu en Europe aussi. En 1957, j’ai dessiné Sherlock Time, qui marque mon changement peut-être le plus fondamental, et qui a été publié dans Hora Cero, avant de commencer à travailler pour la Fleetway…

A.M. Qu’est-ce qui a déterminé ce changement ?

A.B. : Le changement vers mon actuelle façon de voir ce qu’est l’historieta et de la dessiner… Je marchais à Palerme une nuit avec Hugo Pratt, qui m’a dit plus tard, dans une voiture, «Tu fais la pute bon marché, parce que tu fais de la merde en pouvant faire quelque chose mieux». Il m’a donné beaucoup de rage, mais il avait raison. Alors je construisais ma maison et j’avais besoin d’argent, j’ai accepté une proposition d’OEsterheld qu’il m’avait faite avant, et il m’a donné un personnage, Sherlock Time, qui était un policier du temps venu de l’espace, un personnage très étrange, pour la réalisation duquel j’ai eu beaucoup de succès. J’ai fait quelque 150 pages et j’ai abandonné pour travailler dans la publicité…

A.M. L’innovation a été au niveau du style, ou du traitement ?

A.B. : Non, du concept. Le style est relatif. Je ne crois pas dans les styles, les styles sont maniérisme. Cela a été un changement de concept et je crois qu’il a été très important. Il faut tenir compte de la difficulté de se déplacer dans l’art, surtout, après de nombreuses années dans un même genre. En 1962, vient Mort Cinder. Dans cette période ma femme est devenue très malade, on lui a fait une greffe de rein mais elle est morte, ceci m’a ravagé dans tous les sens, moralement et économiquement. J’ai alors laissé cette bande dessinée alors qu’il en avait déjà été dessiné 206 pages, parce que je gagnais alors 4 500 pesos à la semaine et ma femme avait besoin de 5 000 pesos quotidiens de médicaments. J’ai tout abandonné et avec des amis nous avons fondé une école qui a été appelée Institut d’Art et dont j’ai été directeur jusqu’à 1971 ; nous sommes arrivés à avoir quarante-cinq professeurs, parmi les meilleurs de ce qui pouvait être trouvé à Buenos Aires pour chaque spécialité : dessin, illustration, publicité, historieta, cinéma, etc., nous avons eu jusqu’à 700 élèves. Toutefois, cela ne marchait pas, les partenaires se sont finalement dispersés, je me suis fatigué et j’ai arrêté.

A.M. Pour qui avez-vous dessiné Mort Cinder ?

A.B. : Il n’était pas pensé pour une publication concrète, il est sorti parce qu’il est sorti, et il a été publié dans une revue hebdomadaire qui n’avait presque pas de tirage, qui était très pauvre, jusqu’à ce qu’il se soit terminé. La première aventure n’est jamais sortie parce qu’il y avait un problème avec Mort Cinder, dont nous avons étudié le personnage avec OEsterheld pendant trois mois, jusqu’à ce qu’il soit né comme il est né. Je me suis mis à chercher le personnage, ainsi, à froid… J’ai alors dû recourir à des techniques qui ne sont pas très habituelles, non avec le souci d’apparaître original, mais parce que sinon, je ne peux pas m’exprimer. Ca ne m’intéresse pas de savoir si mon travail a besoin de deux millions de pesos pour le reproduire. L’éditeur apparaît
pour chaque oeuvre… Avec le recul, je pense que Mort Cinder est mon oeuvre la plus finie.

A.M. Vous aimez peindre ? Vous peignez ?

A.B. :Oui, c’est ce que j’aime le plus, mais ne le fais déjà plus.

A.M. Pourquoi cette affirmation tellement tranchante si vous ne peignez déjà plus?

A.B. : Parce que, bien que ce soit ce que j’aime, ça ne m’intéresse pas de communiquer à travers la peinture. Je fais maintenant toute la saga de Lovecraft, l’adaptation en bande dessinée des histoires intitulées Les Mythes de Cthulhu, et je fais beaucoup d’ expériences ainsi… Je ne sais pas jusqu’à quel point elles peuvent être profondes.

Source : Entretiens autour de Mort Cinder, de Yann Bagot

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