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Alberto Breccia, 20 ans après : entretien avec Jorge Gonzalez

Le 10 Novembre 1993 disparaissait Alberto Breccia. Pour le 20ème anniversaire de sa mort, j’ai contacté des auteurs de BD et plus largement des personnes qui ont été influencées par son travail. Jorge Gonzalez (auteur de “Bandonéon” et “Chère Patagonie”) en fait partie et voici la retranscription de notre entretien.

Vous pouvez lire la version originale en espagnol et encore un grand merci à Sébastien pour la traduction française.

En quoi son travail / son approche du dessin et de la BD vous a-t-elle influencée ?

Avec le temps qui passe, je me rends compte que c’est dans chacun de mes livres. Même cela ne peut pas se voir en surface, il a toujours été mon guide dans la manière de jouer, d’expérimenter dans la narration, dans l’utilisation des matériaux, etc…

Sans parler forcément “d’héritage”, quels dessinateurs / auteurs sont, selon vous, dans la même lignée que Alberto Breccia aujourd’hui ?

Tous les auteurs argentins de cette époque furent influencés par son travail. Il y eut un avant et un après Mort Cinder. José Muñoz reçut directement cette influence et ensuite il devint un auteur essentiel, Horacio Altuna, etc…
Breccia a introduit en bande dessinée des concepts liés à la peinture et à la liberté des formes. Il a ouvert cette porte. Pour moi, c’est cela son plus grand apport. J’imagine que n’importe quel auteur est influencé d’une manière ou d’une autre par lui.

Si vous deviez retenir une seule de ses histoires ou une planche en particulier, laquelle ce serait ? Pour quelles raisons ?

Mort Cinder, Les Mythes de Cthulhu, Perramus… Chacune de ses œuvres se distingue de la précédente, il joue avec les formes, les ombres, les couleurs, la composition, les matériaux…

Peut-on encore parler “d’école Sud-Américaine” aujourd’hui ?

Il y a de très nombreux auteurs qui jetèrent les bases de ce qui est aujourd’hui l’école sud-américaine : une grande porte fut ouverte par José Luis Salinas et les dessinateurs de son époque. Ensuite il y a eu Hugo Pratt quand il a vécu en Argentine… Suivirent Breccia et Oesterheld pour le scénario. Horacio Altuna, José Muñoz, Alberto Breccia, Solano López, Mandrafina, Juan Giménez, Carlos Nine, etc. continuèrent le chemin.

Que pensez-vous de cette citation sur le dessin et le style :

“Pendant des années j’ai fait des efforts terribles pour forger mon style et à la fin, je me suis rendu compte que ce style est simplement une étiquette qui ne sert à rien. Le dessin est un concept, il n’est pas une marque […]
Pourquoi dois-je continuer à dessiner toujours de la même façon ? Quand je dessine, je suis toujours moi-même ; je ne fais que changer les signes avec lesquels j’exprime un concept. Avoir un style personnel, cette espèce de sceau de garantie, c’est simplement s’arrêter au point où on atteint le succès.”

(extrait de “Ombres et Lumières”, Vertige Graphic,1992)

Je n’en retrancherais ni n’y ajouterais rien. Je suis totalement d’accord. J’essaie de vivre selon cette ligne de conduite jour après jour.

Parmi tous ces styles différents de dessins, lequel vous touche / interpelle le plus ? et pourquoi ?


Toute son œuvre interpelle et dérange, elle porte en elle une opinion sur le monde. Le fait d’oser jouer est le plus grand défi, ne pas penser à plaire à l’autre mais vivre le plaisir de ce que ton corps désire. Cela me semble constituer une vraie générosité et un véritable détachement.

Est-ce que le jeune public argentin d’aujourd’hui connait encore Alberto Breccia ?

Parmi les gens qui créent et qui consomment de la bande dessinée, j’imagine qu’il est considéré comme un auteur clé. Et quant à ceux qui ne sont pas intéressés par ce monde, je ne pense pas qu’ils le connaissent.

Pouvez-vous expliquer quelle a été sa place dans la “Historieta” ?

Je crois que sa position est expliquée dans la question concernant “le dessin et le style”.

A propos de ses nombreuses expérimentations :

“Pour dessiner, il faut se servir des outils qui donnent le résultat le plus convaincant. Chaque sujet requiert des solutions graphiques différentes, et ces solutions graphiques différentes nécessitent d’avoir des outils adaptés. C’est l’essence même du dessin et de la bande-dessinée”.
(extrait de “Ombres et Lumières”, Vertige Graphic,1992)

Que pensez-vous de cette approche si on la met en regard des outils numériques (tablette graphique, retouche et colorisation avec Photoshop …) dont dispose un jeune auteur aujourd’hui ?

Photoshop est un nouvel outil et il faut l’utiliser au profit de son expression personnelle. Cela dépendra toujours de l’usage que chaque auteur en fait et s’il sent que cela lui permet d’exprimer sa nécessité et son désir les plus intimes.

Quelle est la différence entre sa vision de l’Argentine et la vôtre ?

Il y a une différence de génération qui explique qu’il y ait des points de vue distincts. Le contexte historique et social change et cela conduit les nuances à évoluer. Je pense qu’il a exprimé le maximum de son potentiel au moment précis où le hasard l’a fait vivre. C’est ce que j’apprécie. C’est un aboutissement que peu d’auteurs osent et peuvent atteindre.

Pour terminer, avez vous quelque chose de particulier à rajouter / à dire à son propos ?

C’est un génie… Merci.

 


A propos de Jorge Gonzalez

Jorge Gonzalez est né en 1970 en Argentine mais réside depuis plusieurs années en Espagne. Depuis des années, il se consacre également à la publicité en réalisant des illustrations et des story boards. En 2004, il a édité “Le mendiant” puis “Hate Jazz” (ed. Caravelle) en 2006 avec Horacio Altuna. Il est aussi l’auteur de Jazz Song, un court-métrage d’animation. Il a commencé à être plus connu en France avec Bandonéon (Dupuis) en 2010 et Chère Patagonie (Dupuis) en 2012. En Octobre 2013, il vient de publier “El gran surubi” aux éditions Les rêveurs.

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